La chapelle Saint-Gabriel


Le touriste qui passe en voiture fait souvent demi-tour lorsqu’il aperçoit cette superbe chapelle entourée  d’oliviers. Surtout s’il passe un peu tard dans l’après–midi quand  la teinte inimitable de la pierre lui saute immédiatement aux yeux. C‘est qu’elle est bien belle notre chapelle ! Ou plutôt notre église car ses dimensions sont généreuses. D'ailleurs, Prosper Mérimée dans son ouvrage "notes d'un voyage dans le Midi de la France" de 1835 parle bien d'une église.

Ce même Prosper Mérimée ayant constaté l'importance de cet édifice, il l'a inclus dans la toute première liste des monuments historiques établie en 1840. St-Gabriel apparait, (cette fois sous le nom de chapelle) dans cet inventaire avec 933 autres constructions méritant d'être entretenues pour être conservées. Elle figure au côté de cathédrales telles que celles de Laon, Narbonne, Aix en Provence, Angoulême, Senlis, Auxerre, Sens, Notre Dame-des-Dons à Avignon mais aussi d'abbayes comme Conques ou plus près d'ici Montmajour, de châteaux tels que ceux d'Amboise, Chinon, Chenonceau, Chambord ou Blois, d'arènes telle celles d'Arles et Nîmes, du pont du Gard, du pont d'Avignon et même du palais des Papes. Un voisinage plutôt prestigieux.

Le visiteur qui connaît l’art roman est tout de suite étonné par la richesse du décor de la façade, rare pour une construction romane de la fin du XIIe siècle.

Détaillons cette façade.

Au dessus de la porte, le tympan en plein cintre reposant sur deux petites colonnes représente à gauche Daniel entouré de deux lions et l'ange qui tient Habaquq par les cheveux pour qu'il donne un panier de nourriture à Daniel. Sur la droite, de part et d'autre du serpent enroulé dans un figuier, Adam et Eve qui cachent leur nudité après avoir succombé à la tentation.




Autour de la porte d’entrée deux colonnes à chapiteaux corinthiens décorés de feuilles d’acanthes supportent un fronton triangulaire que coiffe l’agneau pascal. La position de cette statue qui parait coincée n'est guère esthétique. Elle semble avoir été installée après postérieurement.

Sur ce fronton à gauche et au centre l’Annonciation de l'archange Gabriel à Marie.

A droite, la Visitation de Marie à Elisabeth qui la reconnaît comme la mère du Messie et l’embrasse.

Les personnages s’inscrivent dans trois arcades avec dans les creux quatre oiseaux dont trois ont un fruit dans le bec (sans doute un grain de raisin). Une quatrième arcade qui débute à gauche donne à penser que ce bas-relief est peut-être un réemploi.

Une bizarrerie. Dans ses "Notes d'un voyage dans le Midi de la France"Prosper Mérimée décrit ainsi le fronton :
...un autre bas-relief carré, représentant l'Apparition de l'ange Gabriel à la vierge... L'ange, contrairement à l'usage général au XIIe siècle, est presque entièrement nu.


Sur ce coup là il a du quelque peu mélanger ses notes....

Le texte AVE MARIA GR PLENA DNS TECU, gravé directement sur les pierres et dessous le texte ANGELUS GABRIHEL SMARIA MATER DNI ELISABETH gravé sur le cadre de la sculpture ont une écriture grossière comparée à la finesse de l'œuvre. En observant les caractères ont se rend comptes que des marques de tâcheron constituent les lettres, et qu'elles sont identiques à celles que l'on trouve sur les murs intérieurs et extérieurs de la chapelle. Ce texte serait-t-il une œeuvre collective ?

                    AVE MARIA GRATIA PLENA DOMINUS TECUM * JE VOUS SALUE MARIE PLEINE DE GRACE LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS
             ANGELUS GABRIEL - SANTA MARIA MATER DOMINI - ELISABETH * L'ANGE GABRIEL - SAINTE MARIE MERE DE DIEU - ELISABETH


                         Malheureusement un vandale a tiré à la carabine à plomb dans les cœurs de l'ange et de Marie.

Dans la partie supérieure, une archivolte assez simple et décentrée par rapport au toit entoure un superbe et imposant oculus orné de feuilles et de dix masques très détaillés de femmes et d'hommes dont certains sont dans un état de conservation exceptionnel.





Aux quatre points cardinaux, le tétramorphe (les quatre évangélistes sous leurs formes allégoriques). Jean (l'aigle), Luc (le taureau), Matthieu (l'homme) et Marc (le lion). La symbolique explique que l'homme est Matthieu car son évangile commence par la généalogie de Jésus. Le lion étant Marc car son évangile commence par le cri de Jean Baptiste dans le désert. Pour Luc le boeuf c'est parce que son évangile débute par Zacharie qui offre un sacrifice à Dieu (c'était souvent un boeuf ). Et enfin Jean l'aigle à cause du mystère céleste du début de son évangile, un prologue sur le Verbe. La voix venue du ciel. Une grande hauteur de vue...tel l'aigle.

Le tétramorphe rappelle les étapes de la vie du Christ. L'Incarnation avec l'homme, le Sacrifice avec le boeuf, la Résurrection avec le lion et l'Ascension avec l'aigle.

 

Il est extrêmement rare de trouver un tétramorphe disposé en croix. Très souvent c'est en X ou en U qu'on le trouve.
Comme sur tous les trétramophes, les quatre statues sont ailées d'où la méprise de nombreux visiteurs qui prennent Matthieu pour l'archange Gabriel.


L'aigle a malheureusement perdu sa tête et Matthieu a le visage mal en point. Un coup de carabine à plomb ?






A l'arrière de la chapelle, un chevet pentagonal très simple recouvert de bars (comme tout l'édifice) est équipé d'une baie qui permet de voir l'intérieur lorsque la chapelle est fermée. Le matin le soleil entre par cette ouverture et baigne l'intérieur d'un fabuleuse lumière.





 

De très nombreuses pierres des murs, à l'exterieur comme à l'intérieur sont couvertes de signes lapidaires plus ou moins discrets et plus ou moins fins. Il y en a plus de cent de 30 sortes différentes que le visiteur pourra s'amuser à repérer. Ces marques, ainsi que les tailles, qu'elles soient en fougères ou chevronnées, ont permis, par comparaisons avec celles d'autres édifices romans du midi, de dater la construction de la chapelle.








Tailles.


Sur le premier contrefort sud ce cercle n'est pas une marque de tâcheron mais un cadran solaire.Il se limite aux heures canoniales soit les heures des offices du culte.


1 l'office de prime (à l'aurore)
2 l'office de tierce (vers 9h)
3 l'office de sexte (vers 12h)
4 l'office de nones (vers 15h)
5 les vêpres (vers 18h)



Intérieur de Saint-Gabriel

Jusqu'au milieu des années 60, on pouvait voir au fond de la nef un autel, sans doute en marbre rouge*  Une grille basse en fer s'appuyait sur les deux avant-derniers piédroits. L'autel actuel était à gauche. Le cippe posé au pied du pilier.


*Des témoins se souviennent avoir vu cet autel au début des années 60.















Dans son ouvrage "l'architecture romane du midi de la France" édité en 1873, Henry Révoil a dessiné l'autel et le cippe dans les  mêmes positions. On ignore quand le cippe a été dépélacé pour occuper sa place actuelle
.

  


Pour le tournage du film "
Un lion en hiver " en 1967, l'autel en pierre est  bien présent.  


                Photo début du 20e siècle



           Gravure du milieu du 19e siècle
L'escalier installé menant à l'extérieur
 
Pour cette superproduction, avec Peter O'toole, Katharine Hepburn et Antony Hopkins  et 3 oscars récoltés, les décorateurs n'ont pas hésité à ouvrir une porte dans un retrait existant pour simuler une sortie. Cette ouverture a été très mal rebouchée. On en aperçoit encore les stigmates. Les Monuments Historiques étaient laxistes dans ces années. 

Le cippe funéraire.
Au fond à droite de la chapelle, un cippe funéraire commandé par Julia Nice, et dédié à  Marcus Fronton Euporus son époux, un affranchi qui fut naviculaire marin à Arles, curateur et patron des Nautes de la Durance et de la corporation des utriculaires d'Ernaginum. En effet la ville était traversée par la Duransole, un bras de la Durance qui allait jusqu'à Arles.
 


A Marcus Frontonus Euporus, sextumvir augustal , natif  de la colonie Julia Augusta d'Aix, curateur des bateliers maritimes d'Arles, patron des bateliers de la Durance & des utriculaires d'Ernaginum; Julia Nice à son époux très-cher.
 

La controverse.

Le fait de que sur ce cippe Marcus Frontonus Euporus était à la fois patron des nautes (bateliers) et des urticulaires laissait à penser que les utriculaires étaient des transporteurs qui traversaient la Durançole sur des radeaux flottant grâce à des outres. De nombreux épigraphistes soutiennent cette théorie. A partir des années 1980, une nouvelle thèse est apparue. Les utriculaires seraient bien des transporteurs, mais routiers. Ils se seraient servis d'outres pour convoyer sur des chariots ou des bêtes de somme du vin et de l'huile entre les plaines de la Durance et celles d'Arles.

Qui a raison ?